L'Auberge du non-retour

Texte : Pierre Dubois
Dessins : Phil Castaza

© 1999 HEXAGONAL

La BD "L'auberge du non-retour" est publiée sous copyright :
© Dargaud


   J'ai toujours été fasciné par les enseignes de pubs et d'auberges qui bordent les routes de la vieille et verte Angleterre. Ces panneaux de bois peints et vernissés, aux couleurs vives, accrochés au-dessus des frontons de pierre grise, sur la façade des pignons à colombages ou fixés à une potence de fer forgé.


La magie des enseignes

   "The Green Man", "The Fairies' Hill", "The Gold Mermaid", "King's Head", "The Fox Hunter", "Forest Drums", "Wolf's Castle", "The Black Swan", "The Unicorn", "The Royal Oak", "Half Moon", "Griffin Inn", "Hark to Bounty", "Robin Hood Tavern", "The Silly Leprechaun", "The Highwayman", et tant d'autres dont les noms écrits en majuscules gothiques et couronnés de flamboyantes armoiries renvoient nos cheminantes rêveries vers les merveilleux confins des royaumes légendaires.
The Black Huntsman's Inn, MultiMondes n°4    C'est aussitôt le repaire des contrebandiers de Moonfleet, des naufrageurs de la "Jamaïca Inn"... Dick Turpin et Rob Roy ne sont pas loin, manteau noir, claymore au poing, à détrousser le passant à la fourche des chemins.
   ... l'antique enseigne de "l'Amiral Benbow" grince aux vents cinglants de Bristol. Derrière le masque des lucarnes, une lanterne sourde lance un mystérieux message au-delà des brumes obscures. Bientôt, le bâton de Pew l'aveugle et le pilon de Long John Silver viendront hanter le sommeil de Jim Hawkins. Autour de celle de "l'Ancre Miséricorde", les ombres entricornées des gentilshommes de fortune se faufilent le long des murs. L'éclair d'un coutelas brille un instant au profil de la lune.
   ... et toujours l'enseigne, comme une histoire pendue, se balance...


L'aventure du crépuscule

   C'est là que le voyageur égaré se restaure avant de s'enfouir et se perdre parmi les landes garoues, au creux des tertres sans fond, au détour ronceux des forêts du Troll. Ici, la fille de l'aubergiste, toute pâle, lui glissera un crucifix d'argent avant qu'il ne s'en aille, dans une cahotante patache, affronter le Maître des Ténèbres.
   À l'auberge du "Dragon Volant", les compagnons de Sheridan le Fanu savourent whiskies et capiteux portos avant de rencontrer l'horreur tapie dans la chambre du haut.
   Là, le paladin s'est endormi. Il a déposé son épée au chevet du lit. Doucement, le tulle des rideaux frissonne au souffle de la fenêtre entrouverte... et de l'évanescent mouvement se dessine la forme brumeuse d'une femme aux longs cheveux de lune,The Wreckers Inn, MultiMondes n°3 à la peau ivoirine, qui, lentement, contre son cou, se penche...
   On raconte que cette autre aimable auberge a été bâtie sur une colline autrefois habitée par les Gnomes; et l'on murmure qu'à l'heure de minuit "ceux-là" se réveillent, remontent des caves, sortent des murs et des charpentes poussiéreuses pour déchirer jusqu'à l'os l'étranger qui a oublié de confier son sommeil à la garde des Fées.
   Le chien des Baskerville et la meute du Squire Cabell viennent toujours hurler sous les fenêtres de la "Warren House Inn", perdue au milieu des landes désolées de Dartmoor.


Les fantômes du foyer

   La "Nobody Inn" sent bon le punch bouillant, le steak and kidney pie et le feu de tourbe. Les honorables fauteuils Chesterfield au cuir luisant invitent le passant à oublier le temps. Je ne connais rien de plus agréable que de s'y installer - après une longue traque aux légendes sur les pistes des Pixies - pour fumer tranquillement sa pipe - une Peterson, bien sûr - bourrée de tabac Mac Quaid... tout en laissant le ronron des braises murmurer ses raconteries...
   Il n'est pas rare par les nuits neigeuses, lorsque les poudreux flocons voltigent contre les vitres d'entendre une diligence s'arrêter dans la cour. Une foule joyeuse de voyageurs s'engouffre alors par la porte, réclamant haut des tournées de sherry et de bière rousse. Le cocher ventru, la houppelande blanchie de givre, les favoris raidis par le gel, entonne des chansons que reprend en choeur la compagnie vêtue de jaquettes rouges, de redingotes d'un autre âge. Les dames aux amples crinolines tournoient, esquissent des pas de danse... Et lorsqu'on se lève afin d'inviter la plus gracieuse à partager une gigue, un rigodon... on la voit soudainement disparaître parmi les flammes, suivie par toute la fantomatique sarabande... Et l'on commande un autre stout, en attendant que la Belle s'en revienne vous charmer de son parfum d'encens et de linceul en fleurs...


The Dancing Fairies Inn, MultiMondes n°2 Les portes de l'inconnu

   Je connais également une auberge nichée dans les Cotswolds qui s'envole dès l'aurore et emporte le dormeur "enfayté" au-delà de Tir Na Nog...
   Car l'auberge est un ultime fanal sur les rives de la nuit. Une dernière borne plantée entre ombre et lumière sur les bords des rives incertaines... plus loin commencent les frontières des Pays sans retour... Son accueillante enseigne est bien souvent un leurre pour attirer ses proies.
   À moins que d'autres fois Elle ne conduise l'Élu au coeur des Merveilleux Séjours. Cela dépend aussi de celui qui franchit le seuil et en tente l'aventure...
   Ainsi donc, je vous conterai bientôt l'histoire dessinée de ce voyageur qui, d'auberge en auberge, de lieux d'épreuve en lieux de Passage, s'en alla, un jour, à la recherche de son destin.

 

   Découvrez une histoire complète de l'Auberge du non retour parue dans le numéro 44 de Dragon Magazine et intitulée :
   The Red Inn !