Strombringer
& autres lames magiques


Texte : Philippe Rio
Dessins : Texte intégral

DRAGON Magazine n°2 © 1991 TSR

   Dans ses romans d'heroïc fantasy, Michaël Moorcock accorde une place primordiale à une grande et mystérieuse épée runique. On ne peut la dissocier du personnage d'Elric le Nécromancien; cependant, sa véritable nature n'est pas explicitée dans les romans consacrés à l'albinos. Il faut attendre La Quête de Tanelorn, dernier livre du cycle d'Hawkmoon, pour que le mystère s'éclaircisse...


Celle qui apporte la tempête

   Dans le but de lutter contre le Chaos, des créatures surnaturelles forgèrent deux épées jumelles, Stormbringer et Mournblade. Ils passèrent un marché avec un être-démon pour qu'il se scinde en deux afin d'habiter chaque lame, leur donnant ainsi un pouvoir immense.
   Serviteurs de la Loi, ces forgerons pensaient servir l'humanité et pouvoir combattre le Chaos avec ses propres forces... Mais les épées tombèrent entre les mains des princes melnibonéens, inféodés au Chaos; puis Mournblade fut détruite et le démon retrouva son intégrité en rassemblant ses forces dans Stormbringer.
   Elric, incarnation du Champion Éternel et dernier Empereur de Melniboné, a le redoutable privilège d'être le porteur de Stormbringer. L'épée accepte de l'aider à s'affranchir des caprices des dieux de la Loi et du Chaos, mais seulement pour mieux assurer sa propre domination.
   En fait, l'être habitant l'Épée Noire suit son propre dessein et oeuvre pour faire de l'Éternel Champion son instrument dans le Multivers.


Des rapports ambigus

   La relation entre l'Éternel Champion et l'Épée Noire est extrêmement ambiguë, faite de haine et de dépendance réciproques. L'albinos Elric ne peut se passer durablement de Stormbringer, malgré des tentatives désespérées pour s'en séparer (lorsqu'il la jette à la mer, elle reste plantée dans les flots !).
   La lutte est permanente pour savoir qui dirigera les actions du couple Champion/Épée. Dès qu'il saisit Stormbringer, Elric apprend à ses dépends qu'elle possède une volonté et cherche à le dominer. Lorsqu'il relâche son contrôle, l'épée tue ses proches. Car Stormbringer se montre très possessive vis-à-vis du héros : elle le veut pour elle seule et fait le vide autour de lui.
   Au lendemain d'une bataille navale, Elric adressa ces paroles à son ami Tristelune :
   "Il nous faut un quatrième compagnon si nous voulons accomplir la prophétie. Je me demande ce qu'est devenu Kargan."
   Tristelune baissa les yeux.
   "Vous n'avez pas remarqué ?
   - Remarqué quoi ?
   - Sur le navire de Jagreen Lern, lorsque vous pourfendiez les ennemis pour atteindre le pont supérieur... Ne savez-vous donc pas ce que vous avez fait alors... ou plus exactement ce que votre maudite épée a fait ?"
   Elric sentit ses forces l'abandonner.
   "Non... L'aurais-je... l'aurait-elle tué ?"
   Vous devinez la réponse de Tristelune... Ainsi, non seulement l'épée extermine systématiquement les êtres chers au héros, mais ces derniers meurent de sa propre main ! Pire : elle ne pardonne pas qu'on l'abandonne et serait capable de tuer le Champion lui-même s'il ne voulait ou ne pouvait plus la servir.


Belle comme la mort

   Quand le Champion rencontre "son" épée, il est subjugué par sa beauté. L'arme est parfaite, merveilleusement bien équilibrée et légère dans la main malgré ses dimensions impressionnantes. C'est le coup de foudre ! Cependant cette beauté est toute puissante, cruauté et mort : "Stormbringer avait besoin de se battre, c'était sa raison de vivre. Elle avait besoin de la vie et de l'âme des hommes, des démons, et même des dieux."
   Mais elle ne peut se passer du Champion pour développer son immense pouvoir. Un pouvoir assez grand pour "détruire la moitié du monde", révèle Moorcock, et l'on voit dans Stormbringer qu'il ne s'agit pas d'une simple figure de style...
   Le Multivers ne se limite pas au monde d'Elric et de Stormbringer. Il comprend bien d'autres plans d'existence où l'Éternel Champion est présent et l'Être de l'Épée également. Les différentes incarnations du Champion n'ont ni la même apparence, ni le même caractère. L'Être de l'Épée est plus constant. Sa forme de prédilection est celle d'une épée noire gravée de runes. Cependant, privé d'une lame, il est contraint de prendre d'autres apparences. La description suivante est extraite de La Quête de Tanelorn. L'Être de l'Épée vient supplier Hawkmoon (un avatar d'Elric) de lui donner une lame qu'il puisse habiter. Avec une telle arme à son côté, le Champion serait invulnérable !
   C'est d'abord sous l'apparence d'un visage que l'Être de l'Épée se manifeste aux yeux du héros : "Le visage n'avait apparemment pas de corps. Il était beau et sinistre, d'une teinte sombre, indéterminée. Des lèvres d'un rouge luisant, malsain, des yeux peut-être noirs, peut-être bleus, marrons peut-être, et de l'or dans les pupilles."
   Puis se précise la silhouette d'un homme "nimbé d'un noir scintillement et vêtu d'une matière brillante qui n'était pas du métal."
   Sous des dehors qui ne sont pas toujours repoussants, la nature chaotique et démoniaque de l'Être transparaît pourtant :
   "Les lèvres se retroussèrent sur des crocs embrasés... Des éclairs jaillirent soudain du sol autour des pieds de la créature qui glapit, siffla, hurla."
   Ces formes d'emprunt ne sont pas l'apparence originelle de l'Être de l'Épée, qu'on ne connaîtra sans doute jamais...


Aucune épée magique ne peut se comparer à Stormbringer

   Les épées magiques très puissantes abondent dans les lègendes comme dans les romans d'heroïc fantasy.
   D'abord Excalibur, épée magique, épée invincible. Forgée "à partir du métal des météores célestes", elle forme avec Arthur un couple des plus remarquables, qui rassembla autour de la Table Ronde les meilleurs des chevaliers. Elle surgit miraculeusement des flots, portée par un bras féminin; elle y retourne après la mort d'Arthur dont le dernier geste est de la lancer à la mer.
   Tolkien, dans le Seigneur des Anneaux, présente des épées fameuses. La plus célèbre est Narsil, instrument et symbole du pouvoir des rois venus de l'Ouest. Elle se brise lorsqu'Elendil tombe en combattant Sauron. Bien plus tard, Aragorn la fait restaurer par neuf forgerons elfiques. Rebaptisée Andúril (la flamme de l'Ouest), elle se révèle "aussi mortelle que jadis" et aide son porteur à relever le trône de ces ancêtres.
   Donaldson, dans les Chroniques de Thomas l'Incrédule, décrit une courte épée, le Krill : c'est avec cette arme que Morham, le seigneur absolu, tue le géant ravageur Samadhi. La magie de l'épée est concentrée dans un joyau blanc incrusté dans sa garde. Quand la pierre brille, activée par l'Or Blanc, son immense pouvoir rend la lame brûlante.
   Trois points communs entre toutes ces armes : elles furent forgées dans un métal extraordinaire, le plus souvent d'origine cosmique, elles sont gravées de runes et enfin, seul un être d'exception peut les utiliser.
   Mais toutes ces épées, pour extraordinaires qu'elles soient, n'ont ni l'importance (à part le Krill peut-être) ni l'autonomie et la personnalité de Stormbringer. Une fois accepté, leur possesseur les domine et les contrôle parfaitement. Enfin, pour la plupart, elles servent la Loi et le Bien. Stormbringer, chaotique et foncièrement mauvaise, ne sert en définitive qu'elle-même. En cela, et par l'ampleur de ses pouvoirs, l'Être Stormbringer-Mournblade reste "l'Épée" unique en son genre et première parmi les épées magiques.