En quête d'éternité

Propos recueillis par : Olivier Noël
Retranscrits par : Luc Masset
Illustrations : © Carrington Productions International Ltd. 1999.
All rights reservedExtrait : 50 % du texte original.

© 1999 HEXAGONAL

   Il y a quelques années, nous avions déjà rencontré le talentueux Rodney Matthews à l'occasion de la sortie d'un de ses livres et nous nous étions dits qu'il serait sympathique de faire quelque chose ensemble. En janvier, nous recevions une lettre de l'artiste nous indiquant qu'il avait sorti un nouveau livre, et "sa" série télé était sur le point d'être diffusée en Angleterre ! C'était l'occasion rêvée pour préparer une nouvelle interview et vous permettre de découvrir ou de redécouvrir ce magicien des pinceaux.


MultiMondes : Que pouvez-vous nous dire de votre enfance ?
   Rodney Matthews : Je suis né en 1945 à Paulton, Somerset, Angleterre, où je suis allé à l'école. J'excellais dans le domaine artistique et ce genre de choses, mais je ne me suis guère fait remarquer à l'époque. Mon père m'a encouragé dans mon art et c'est lui qui a suggéré que je m'inscrive au West of England College of Art en 1960 pour étudier le design commercial. Cela m'a conduit à une carrière publicitaire entre 1962 et 1970.
   C'était une agence de publicité pour les points de vente, alors l'essentiel du boulot était plutôt ennuyeux, sans réelle occasion de faire quelque chose qui ressemble à du fantastique ! Aussi ai-je commencé à élaborer une collection d'illustrations et de peintures plus imaginatives pendant mon temps libre : au cours de la pause déjeuner au boulot et durant les soirées. Finalement, j'ai pu quitter l'agence et m'installer à mon compte.

   [...]

MM : Vous avez fait une série animée appelée Lavender Castle. Vous aviez ce projet à l'esprit depuis longtemps. Pouvez-vous nous décrire son sujet et son esprit ?
   R.M. : Lavender Castle est finalement une série animée de science-fiction comique pour enfants de 26 épisodes en stop-motion et CGI. Le projet a été conçu ainsi en 1986, mais il est resté dans les limbes jusqu'en 1996 parce qu'on ne trouvait pas de financier. Finalement, il a été pris par Carrington Productions International et il passe maintenant en Angleterre sur ITV; et ca marche très bien. L'origine de tout cela ce sont les paroles d'une chanson que j'ai écrite pour mon groupe en 1973; quand, à la demande de Gerry Anderson (les Sentinelles de l'Air, Cosmos 1999, Stingray, etc.), je me suis mis à considérer l'idée d'une série télé pour enfants, ces paroles me sont revenues à l'esprit. Il en restait très peu dans le programme final, sauf le titre et peut-être un petit quelque chose de l'essence même de l'aventure.
   Parmi les personnages principaux il y a le capitaine Thrice (il a trois yeux ! [NdT : "Thrice" signifie "trois fois" en anglais]), Isambard (le mécanicien du vaisseau), Lyca (le médecin de bord), Roger le pilote, Sproggle le navigateur distrait et sire Squeakalot le robot du vaisseau. Ces personnages centraux travaillent dans un vaisseau spatial en forme de chaumière appelé le Paradoxe. Le docteur Agon et Short Fred Ledd sont les principaux méchants dont le premier objectif, en dehors de la destruction intergalactique, est d'atteindre Lavender Castle (la cité de Lumière et de la Paix qui flotte dans l'espace) et de le détruire. Le capitaine Thrice et son équipage ont l'attention d'atteindre Lavender Castle les premiers... le problème c'est que personne ne sait où ça se trouve !

MM : Comment cette série est-elle née, de son idée à son aboutissement ?
   R.M. : Gerry Anderson avait vu mon travail aux alentours de 1985 et nous avions discuté de la possibilité de travailler ensemble. Il aimait mon idée pour la série et a commencé à chercher un financement. Comme je l'ai dit, ce fut difficile, mais quand on a finalement eu un accord, Gerry a commencé à recruter l'équipe. Le tournage s'est terminé en septembre 1998 et la première diffusion anglaise a eu lieu en janvier de cette année.

MM : Le rendu final est superbe et l'informatique rend vraiment hommage à votre style. Quelles techniques ont permis cette osmose entre animation de marionnettes et ordinateur ?
   R.M. : En fait on a tourné à Cosgrove Hall Films à Manchester avec des caméras numériques Sony en DTD [NdT : "Direct To Disk", enregistrement direct sur ordinateur, sans aucune bande ni pellicule]. Les animateurs pouvaient voir instantanément le résultat de leur travail et on y gagnait du temps. Les marionnettes ont été superbement réalisées par Mackinnon & Sauders à Manchester, alors que les maquettes réalisées sur ordinateur comme la "Dark Station" du docteur Agon et le vaisseau pirate The Cutting Snark de Short Fred Ledd étaient réalisés et animés par Steve Weston de White Horse Films, à Londres. C'est Gerry Anderson lui-même qui a produit la série, Chris Taylor qui l'a dirigée et Chris Bowden avait le rôle de producteur exécutif. Au final, le travail de postproduction a été réalisé par 422, à Manchester.
   Côté scénario, la plupart des histoires sont de Gerry, même si certains synopsis et dialogues ont été écrits par Pauline Fisk ou Chris Tengrove. J'ai moi-même réalisé deux des histoires.

MM : Les créatifs sont souvent frustrés lors de la transcription télévisuelle d'une oeuvre, cela ne semble pas être votre cas. Aviez-vous un contrôle quelconque sur le résultat ?
   R.M. : Pas vraiment, mais au cours des deux années de fabrication de Lavender Castle, j'ai conservé une relation de travail étroite avec les scénaristes, les décorateurs, les animateurs, les gens de la postproduction, etc. et j'ai fait beaucoup de dessins de personnages vus de différents niveaux, des engins spatiaux de diverses sortes, des paysages et des intérieurs. Gerry Anderson m'a donné un contrôle total des ces processus alors j'ai insisté pour que le travail soit de qualité dans tous les domaines, en fonction des restrictions financières du budget qui était tout de même de 2 millions et demi de livres.

MM : Même s'il fut long à aboutir, ce premier essai semble plus que concluant. Avez-vous d'autres projets pour l'avenir ?
   R.M. : J'ai au moins cinq projets pour le cinéma ou la télé dans ma manche qui attendent d'être développés, et deux propositions de jeu sur ordinateur - il y aura un jeu de course et un jeu de stratégie. Ce dernier est une idée originelle de ma femme. Je le développe sous sa direction artistique !

MM : Aurons-nous la chance de vous voir en France ?
   R.M. : Je suis allé très souvent en France, généralement pour rendre visite à ma soeur qui, ayant épousé un Français, vit à Paris. J'y suis déjà venu également en voyage d'affaires et une fois pour une séance de dédicaces de mon travail; mais je ne suis pas venu depuis des années.
   Je n'ai pas de projet immédiat pour venir en France, mais il est possible que cela se fasse un jour en relation avec Lavender Castle; je sais que des négociations sont en cours pour que la série soit achetée par une chaîne française. Mon principal regret c'est que je ne parle pas français. J'espère cependant que mes images franchiront les barrières de la langue et de la culture.

Lavender Castle