Interview de Terry Pratchett

Propos recueillis par : Olivier Noël
grâce à la complicité de : Cécile Borzakian
Retranscrits par : Luc Masset
Dessins : Paul Kidby, tirés de Gurps Discworld (Steve Jackson Games)Extrait : 50 % du texte original.

© 1999 HEXAGONAL

   C'est à l'occasion de la sortie du jeu Discworld Noir que GT Interactive nous a proposé d'interviewer Terry Pratchett, l'auteur de la saga du Disque-Monde. La rencontre a eu lieu dans une auberge comme les affectionne Pierre Dubois, située à Salisbury (au sud-ouest de Londres). Au "Red Lion" nous avons pu faire connaissance avec l'équipe qui conçoit le jeu, avant d'être amenés dans une salle de réunion où nous attendaient un lunch et Terry Pratchett. C'est un personnage, le bougre ! Chargé de communication pour l'industrie nucléaire anglaise durant une quinzaine d'années, il avait de nombreuses histoires délirantes à raconter (nous vous les gardons pour une prochaine fois).


MultiMondes : J'ai lu dans votre biographie qu'au départ vous ne vous trouviez aucun talent particulier pour l'écriture tacatac... tacatac... tacatac... tacatac... tacatac... [NDLR : Désolé, un portable a brouillé mon dictaphone, et je ne me souviens plus de ce que j'ai dit]... Vous avez écrit votre premier livre il y a environ vingt ans, n'est-ce pas ?
   Terry Pratchett :
En réalité, je dois dire que c'est faux. J'ai écrit ma première nouvelle à l'âge de treize ans et elle a été publiée dans un magazine de science-fiction. J'ai écrit mon premier roman à dix-sept ans, et j'ai été publié alors que j'avais vingt ans. J'en ai écrit deux autres au cours des dix années qui ont suivi. Et ça s'est plutôt bien vendu. Puis, j'ai écrit le premier livre de la série Disque-Monde il y a environ seize ou dix-sept ans. Et j'ai commencé à très bien vendre; après quoi les ventes sont montées très vite.
MM : Vous avez commencé par travailler dans d'autres domaines avant de décider d'écrire ?
   T.P. :
L'écriture était pour moi un passe-temps. Mais à l'époque où le troisième livre - Equal Rites - est sorti, j'étais en mesure de gagner plus d'argent avec mon passe-temps qu'avec mon travail. Alors, il y a douze ans, j'ai démissionné de mon travail, et depuis je suis écrivain à plein temps.


C'est qui, proquo ?
Pratchett : Couverture de Gurps Discworld, par Paul Kidby, Steve Jackson Games.
MM : Comment avez-vous rencontré Paul Kidby, l'illustrateur ?
   T.P. :
C'est une question intéressante. Avez-vous vu le travail de Paul Kidby ?
MM : Oui, en France on peut trouver le artbook qu'il a publié chez Paper Tiger.
   T.P. :
Heu, non. Il y a deux... ils sont deux... Ah, c'est difficile à expliquer... il y a Josh Kirby, et il y a Paul Kidby.
MM : Oui, en fait je connais Paul Kidby, parce qu'il a fait ça [je lui montre le dessin de couverture de GURPS Discworld].
   T.P. :
Mais... est-ce que Paper Tiger a publié ça ?
MM : Oui. En fait non, mais il y a beaucoup d'autres illustrations de Paul Kidby sur le Disque-Monde dans un recueil.
   T.P. :
Mais il y aussi Josh Kirby.
MM : Non, je suis sûr que c'est Paul Kidby.
   T.P. :
Paul Kidby a fait ça [il me remontre le même dessin].Pratchett : Couverture de Nobliaux et Sorcières, par Josh Kirby, Éditions l'Atalante.
MM : En France, toutes les couvertures de vos livres sont de lui.
   T.P. :
Vous êtes sûr ? Vous êtes sûr qu'il a fait des couvertures ?
MM : Oui [je lui montre un de ses livres en français].
   T.P. :
Non. Je vois où est le problème. Ça c'est de Josh KIR-by [il montre le livre], ça c'est de Paul KID-by [il montre GURPS Discworld]. Les couvertures, toutes les couvertures, sont de Josh KIR-by qui a fait les livres chez Paper Tiger. Paul KID-by, c'est quelqu'un d'autre.
MM : Là je comprends [silence]... Je me suis trompé. Je croyais que c'était le même.


De Kidby à Kirby
(ou l'inverse ?)


   T.P. :
Un de mes amis disait que Paul Kidby était mon bras de dessinateur. La plupart de ses personnages sont exactement comme je les ai imaginés. Le sorcier Rincevent et Deuxfleurs, ils sont magnifiques. Josh Kirby faisait de très bonnes couvertures, mais ses personnages n'étaient pas forcément comme je les imaginais. Paul Kidby a fait beaucoup d'autres choses pour le Disque-Monde.
MM : Dans les guides par exemple...
   T.P. :
Oh oui. Il a fait des cartes, il a fait des posters...
MM : Alors pourquoi n'a-t-il pas fait les couvertures ?
   T.P.
[dubitatif] : Avez-vous compris cette histoire d'identité ?
MM : Oui... [hésitant]
   T.P. :
Bien. Alors on a commencé avec Josh. Ses couvertures étaient bien reconnaissables comme... les pubs Coca Cola, typiquement Coca Cola. Et puis il fallait des couvertures de Josh Kirby sur les livres de Terry Pratchett. Si on avait arrêté, les gens auraient dit : c'est quoi ça ?
MM : Ainsi, vous avez rencontré Kirby, heu... Kidby après avoir publié votre premier livre.
   T.P. :
Oh, Kidby... Josh, heu... Paul Kidby, KID-by ne s'est présenté qu'il y a trois ou quatre ans. Il a envoyé à mon éditeur une ou deux illustrations. L'une d'elle est dans ce livre, c'est le guet de la ville. Alors nous avons dit : ce type est vraiment bien, voyons ce qu'il peut faire. Il a donc fait beaucoup de choses pour GURPS Discworld, et je suis vraiment très content de son travail. C'est un artiste formidable et c'est lui qui a le mieux traduit en image mon idée d Disque-Monde. La façon qu'il a de jouer avec différents styles est magnifique. Josh KIR-by illustre en fait des livres fantastiques et de science-fiction depuis ces deux cents dernières années. Il a fait beaucoup plus de choses que ce que les gens pensent.
MM : Mais en France, les gens ne le connaissent que par vos livres.
   T.P. :
Exactement, on pense le connaître parce qu'on dit "Josh Kirby dessine comme ça". Mais lui aussi a beaucoup de styles et il vit de ses couvertures de livres depuis... oh, quelque chose comme... je ne sais pas... trente ans peut être.


En route vers la civilisation

MM : Le chiffre huit est vraiment très important dans certains de vos livres. Alors, que vous est-il arrivé de spécial à l'âge de huit ans ?


[...]
Pratchett : Dragon des marais, par Paul Kidby, Steve Jackson Games.

Dinosaure du jeu de rôles

MM : Quand j'ai lu votre premier roman du Disque-Monde, j'ai eu l'impression que vous vous moquiez un peu de Donjons & Dragons. Connaissez-vous les jeux de rôles ? Aviez-vous déjà pratiqué le jeu de rôles avant d'écrire le Disque-Monde ?
   T.P. :
Quel âge avez vous ?
MM : Heu... 32 ans
   T.P. :
J'allais dire que j'ai fait ma première partie de jeu de rôles avant que vous ne soyez né. Mais en réalité j'ai fait ma première partie de jeux de rôles avant que vous n'alliez à l'école. Je me souviens de la grande époque de White Dwarf.
MM : Oui, je me souviens, le magazine de Games Workshop.
   T.P. :
Je crois qu'à l'époque, ça ne leur appartenait pas. c'était plutôt comme un fanzine. Tout était très ouvert. Le marché ne s'était pas encore défini clairement.
MM : Et à quels jeux jouiez-vous ? Donjons & Dragons ? D'autres ?
   T.P. :
Je dois à l'honnêteté de dire qu'à la base c'était Donjons & Dragons. Mais on rajoutait ce qu'on voulait aux livres; et on jouait plus ou moins librement. Lorsque j'avais 22 ou 23 ans, le gosse d'à-côté a eu les livres de AD&D à Noël. Ça avait l'air intéressant. Et je m'y suis impliqué en écrivant des scénarios pour lui et ses amis. Et beaucoup de personnages et d'éléments du Disque-Monde - comme la malle par exemple - ont été créés à l'origine pour des parties de AD&D. En fait, certaines des histoires de Colour of Magic ont été écrites ou adaptées en scénarios.


[...]
Pratchett : la Mort des rats, par Paul Kidby, Steve Jackson Games.

Le crépuscule des elfes

MM : Pensez-vous, comme Shakespeare, qu'il y a une opposition entre la magie et la technologie ? Car dans beaucoup de mondes fantastiques, lorsque la technologie se développe, la magie disparaît.
   T.P. :
Non, je réfute le cliché que la technologie chasse la magie. La magie du Disque-Monde fait partie de celui-ci au lieu d'être utilisée au quotidien. Une partie de la technologie du Disque-Monde est de la magie. Mais généralement, la technologie fonctionne pour tout le monde alors que la magie ne fonctionne que pour ceux qui sont entraînés à s'en servir. C'est pourquoi la technologie peut supplanter la magie. [silence] Les sorciers du Disque-Monde peuvent passer des années à déclencher un sortilège. Généralement, il est plus facile et beaucoup moins dangereux de ne pas faire appel à la magie. Les sorciers de l'université d'Ankh-Morpok n'utilisent pas la magie; ils la considèrent comme une sorte de force nucléaire beaucoup trop dangereuse par rapport à ce qu'elle rapporte.
   Mais la technologie elle-même est une sorte de magie. Par exemple, prenez les chemins de fer. En Angleterre - le premier pays qui en ait eu - les chemins de fer ont changé la nature du temps. Avant, vous aviez une heure donnée au clocher de Lexington; et à Exeter vous pouviez avoir un décalage d'un demi-heure plus tôt ou plus tard. Mais qui s'en souciait ? Les deux villes étaient à deux jours de distance. Dans tous le pays, les pubs fermaient à une heure différente, mais ça n'avait pas d'importance. Quand les chemins de fer arrivèrent, les gens eurent besoin de savoir l'heure à cause des horaires des trains. Et maintenant vous pouviez aller de Londres à Exeter tellement vite que l'heure qu'il était devenait importante. Alors les pendules commencèrent à se synchroniser. Ça c'est la magie de la civilisation !